"... la violence, toute la violence, rien que la violence (...) le film est fini et commence alors une tornade de points d'interrogation. Le doute le plus fondamental concernant évidemment les intentions du réalisateur.
Qu'est-ce qu'il veut dire et nous dire ? Probablement une mise à sac des valeurs culturelles dominantes. Bien sûr celles d'une bourgeoisie éclairée, qui estime que son raffinement instruit lui sert de paravent à la barbarie du monde. Le film s'ouvre sur un «blind test» de musique classique où la gagnante reconnaît à coup sûr une pièce d'Haendel.
Mais, plus surprenant, Haneke s'attaque aussi aux arcanes de la culture jeune. A Haendel succède dans la bande-son un morceau de raffut hard-rock. Histoire de suggérer que les jeunes sont assourdis par le bruit de leur musique et rendus aveugles par les images de leurs clips ? C'est sûrement plus compliqué. Ne serait-ce que parce que les deux tueurs superposent ces deux couches a priori hétérogènes de la haute culture culturante et de la basse culture fun : massacre au club de golf sur des citations littéraires.
Haneke n'est pas le dernier à se poser lui-même ce genre de questions jusqu'à en faire la matière même de son film. Ainsi, lorsque, à bout de tortures physiques et morales, le personnage de Georg, le père, lui demande ce qu'on se demande nous-mêmes: «Mais pourquoi faites-vous ça ?», le jeune homme empile tous les types de discours explicatifs (du psy au philosophique) pour mieux les réduire tous à néant dans un ricanement qui donne des suées (...)
Le plus beau du film, par ailleurs formellement magistral, restera ce très long plan séquence qui balaie quasiment au ralenti le salon post-traumatique du carnage. La scène dure au-delà de la limite généralement admise désormais par nos habitudes de spectateurs, ciné et a fortiori télé. Une impression de malaise en découle..."
Gérard Lefort, Didier Péron